Coordonnées : lat 37.074953°/ long : 41.215278°
(voir sur la carte des missions)
Responsable : Justine Gaborit
La mission d’étude documentaire de Nisibe a été mise en place en 2012 à l’initiative d’E. Youssif, d’Alain Desreumaux(CNRS) et de F. Briquel - Chatonnet (CNRS) en réponse à une demande de la municipalité de Nusaybin.
L’Église de Yaqʿub constitue un des rares monuments antiques conservés en élévation et accessibles de l’antique ville de Nisibis, aujourd’hui Nusaybin à la frontière syro-turque. La volonté de la municipalité de mettre en valeur cette église exceptionnelle a été à l’origine en 2000 de la création d’un parc archéologique puis d’un projet de musée.
Les objectifs de la mission d’étude documentaire s’inscrivent dans une double perspective scientifique et patrimoniale.
Les deux campagnes de relevés et d’étude du bâti, réalisées en 2012-2013, ont réuni : G. Thébault (topographe DPGL) et B. Riba (Ifpo Jérusalem), A. Oruç (Service des fouilles, Nusaybin) et K. al-Hamid. (dessinateur).
Importance historique de Nisibe et de son premier évêque
Cette ville représente un carrefour important de la Mésopotamie antique, depuis l’époque néo-assyrienne. À partir du IIIe s., c’était un centre économique florissant, surnommé « Porte de la Mésopotamie », en raison de sa position au croisement d’itinéraires de la Route de la Soie. Elle a été préfecture de la province romaine de Mésopotamie, puis, après 363, capitale du district sassanide de l’Arabeystan et du Beth Arabiya, « le pays des Arabes », éparchie de 3e rang de l’Église de Perse.
L’église actuelle est consacrée à saint Jacques, premier évêque de Nisibe (308-338), dont le sarcophage est abrité et vénéré aujourd’hui encore dans une crypte. Jacques, qui a pris part au concile de Nicée, est connu par les sources textuelles pour avoir construit la première église de la ville entre 313-320, et avoir activement participé à la défense de la ville assiégée par les Sassanides, avant sa mort en 338. Après 363, sous l’épiscopat de Vologèse, Nisibe passe sous contrôle sassanide, en vertu du traité de paix conclu par Jovien, à la mort de Julien et de la déroute de son armée de conquête Mésopotamie. Nisibe représente un des pôles principaux des églises orientales syriaques, et reste associé aux figures majeures de leurs histoires théologiques et littéraires, tels que Ephrem, grand auteur de poèmes et d’hymnes, Narsaï, fondateur, au Ve s., de l’École de Nisibe, Barsauma ou Elie de Nisibe.
Études antérieures du monument
L’église Saint-Jacques, ou en syriaque Mar Yaqʿub, apparaît dans l’historiographie occidentale dès le XVIIe siècle. Les voyageurs qui ont fait halte à Nusaybin, ont été déroutés par cet édifice atypique à demi-émergé du tell archéologique de la ville ancienne, en périphérie du bourg ottoman. C’est dans cet état qu’elle a été photographiée par Gertrude Bell, en 1905 ; jusqu’en 2006, encore, on ne pouvait entrer dans l’église que par une petite dépression menant aux portes de sa façade ouest. Cependant, en 1911, Ernest Herzfeld fut à même de faire le relevé d’une inscription grecque placée sur la façade sud, et connue depuis 1852, date à laquelle le missionnaire George Percy Badger l’avait signalée. La relecture de Herzfeld allait radicalement changer l’interprétation du monument, puisque cette dédicace mentionne la construction d’un baptistère sous l’épiscopat de Vologèse et que la date gravée, bien lisible, indique l’année 671 de l’ère séleucide, soit 359 apr. J.-C., soit le baptistère le plus ancien d’Orient après celui de la maison chrétienne de Doura-Europos.
Entre 1960 et 1980, deux missions d’étude américaine (C. Mango & M. Murlia Mango, Chicago) et française (C. Leroy, mission épigraphique de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) ont été, chacune, ajournées, de sorte que les phases anciennes de l’église n’avaient jamais fait l’objet d’une étude systématique. Ce n’est qu’en 2006, qu’une équipe de l’université de Diyarbakir a commencé des travaux de dégagement extensif, poursuivis jusqu’à 2015 par le Musée de Mardin. Le dégagement de la façade sud dégagée jusqu’à sa base et d’un ensemble de vestiges alentours a, non-seulement, permis la découverte de nouvelles inscriptions syriaques mais aussi mis en valeur la cohérence des programmes de constructions successifs, de l’aménagement du baptistère du IVe s. aux reconstructions de la fin du XIXe s.
Réalisations
L’objectif premier de la mission était de restituer l’histoire de l’église Yaqʿub et tout particulièrement du baptistère, un des rares témoins du développement du christianisme oriental, un demi-siècle après l’édit de tolérance de Constantin, et contemporain des grands travaux de Jérusalem.
La restitution de l’état et du fonctionnement du baptistère, dont aucun des aménagements liturgiques ne subsiste in situ, s’est appuyée uniquement sur les résultats de l’étude du bâti. L’archéologie du bâti a permis de reconstituer le plan du baptistère initial, conservé à 70 % jusqu’au départ des toitures (façades sud et nord, la salle orientale avec abside et partiellement une salle occidentale), et de comprendre la cohérence du décor sculpté originel d’une richesse iconographique et d’une qualité exceptionnelle. Les deux campagnes de relevés et d’analyse ont mis en évidence d’abord quelles parties originelles ont été modifiées ou arasées par les aménagements ultérieurs (façade occidentale, salle orientale, crypte, couvrement), puis ont guidé les hypothèses de restitution :
Ce travail de restitution, mené en collaboration avec J.-P. Sodini, était d’autant plus complexe que le plan du baptistère avec ses huit portes est un unicum et que les cérémonies baptismales au IVe s. s. n’avaient pas encore été totalement codifiées. Les résultats ont pris en compte les données liturgiques et architecturales bien établies pour la Syrie du Nord aux V-VIe s. et la hiérarchie des espaces et des circulations matérialisées par l’architecture et les décors du monument lui-même. Les entrées et sorties pour les différents groupes en présence ont été scénarisées. Par exemple, L’évêque et sa suite sortaient par la porte triomphale occidentale (disparue) tandis que et les nouveaux baptisés empruntaient les portes latérales sud et nord, distinguées par la présence de petites couronnes sur les linteaux, soulignant la transformation du baptisé en champion de la foi. L’étude de l’église de Saint-Jacques repose non seulement la question de l’évolution du parcours initiatique entre le IVe s. et le VIe s. mais aussi la circulation d’un modèle et d’une organisation liturgique commune à l’empire byzantin et l’empire sassanide.
Opérations
Partenaires internationaux
- Municipalité de Nusaybin
- Service archéologique municipal
- Musée de Mardin
- CNRS UMR 8167 Mondes sémitiques
- LabEX RESMED
- ANR SYRAB
Publications et diffusion de la recherche
- J. Gaborit & G. Thébault, « L’église Mar- Yaʿqub de Nisibe », Les églises en monde syriaque, F. Briquel - Chatonnet éd., collection des Études syriaques, 10, 2013, p. 289-330.
- J. Gaborit, « Le baptistère de Nisibe, joyau de l’art mésopotamien », Arts sacrés n° 33, juillet-sept. 2016, p. 57-63.
- J. Gaborit, « L’église Saint-Jacques de Nisibe : nouvelle restitution des états anciens du monument et de son baptistère », Colloque international Initiation chrétienne au Proche Orient protobyzantin et médiéval Cerpoc-Ifpo, 27-29 novembre 2014, Beyrouth
- J. Gaborit, « L’église de Mar-Ya‘qub de Nisibe : questions typologiques et chronologiques sur un monument emblématique de la Mésopotamie du Nord » Colloque international L’espace sacré en Syrie du Nord à l’époque protobyzantine (IVe-VIIe siècles), 17-19 décembre 2015, Paris.
- J. Gaborit, « L’église Saint-Jacques et la mise en valeur du patrimoine multi-culturel de Nisibe » Table-ronde « Patrimoine des chrétiens d’Orient : une richesse à faire connaitre » à l’Institut du Monde Arabe, 6 fév. 2014, Paris