Yann Dejugnat – Françoise des Boscs – Arthur Haushalter (éd.)
Collection de la Casa de Velázquez, Madrid, 2019
ISBN 9788490961612
XIV-455 p.
17 x 24 cms.
Broché
35 euros
Identifié à l’une des extrémités de la partie habitée de la Terre, le détroit de Gibraltar a constitué un point remarquable dans la structuration de l’image de l’écoumène et dans les différentes circumnavigations, réelles ou imaginaires. Pour autant, signe qu’une image ne tire pas toujours sa valeur de sa conformité avec son référent, il a donné lieu à des représentations diverses, parfois même contradictoires. Fréquenté par les Phéniciens, les Puniques, les Grecs, les Romains, et a fortiori par les différentes puissances qui s’en sont disputées le contrôle au Moyen-Âge, il a toujours constitué un lieu de rencontre et de passage, et selon les époques un gué, un seuil autant qu’une frontière. Les constructions impériales étendues de part et d’autre de ces bornes, à l’instar du califat omeyyade de Cordoue et des Empires berbères dans le cas du détroit de Gibraltar, se sont précisément illustrées en les franchissant et furent parées du prestige de la conquête en les effaçant. Puis ce rôle de marqueur œcuménique a trouvé une de ses expressions les plus abouties dans l’emblème impérial majeur de la Monarchie hispanique : deux colonnes torses – les colonnes d’Hercule – frappées de la devise « Plus Oultre ». La devise possédait un sens religieux profond : par l’allusion au cri de guerre des croisés « oltrée ! » ou « outrée ! » qui signifiait « en avant ! », elle évoquait la propagation du christianisme, inséparable de la grande aventure américaine. L’emblème de Charles Quint conjuguait ainsi un sens politique, géographique, religieux, au service de la « mondialisation » conquérante d’un empire sacré, réplique terrestre de l’empire divin.
Les contributions qu’on trouve dans cet ouvrage proposent de remettre en perspective et en contexte la question des mythes et de l’imaginaire merveilleux élaboré autour du détroit ; la prise en compte de l’époque médiévale, du monde latin aux pays d’Islam, permet d’identifier des continuités, en particulier l’incorporation d’Héraclès ou d’Alexandre à de nouveaux édifices idéologiques d’inspiration islamique ou chrétienne. Une série d’études s’intéresse aussi aux représentations que les scientifiques, géographes, physiciens ou mathématiciens anciens ou médiévaux ont donné du détroit, en faisant dès l’époque archaïque un repère fondamental du dessin de toute carte du monde, comme limite entre deux de ses trois parties (Europe et Afrique) mais aussi entre mer Intérieure et Océan, ce qui a par contrecoup, a réduit l’intérêt des savants pour la description de la zone ; repère fondamental du dessin de toute carte du monde, le Détroit a en effet peiné à exister en tant que région. Une séquence est consacrée aux acteurs, marins et voyageurs, qui ont pour une raison ou une autre fréquenté le détroit ; ces enquêtes sont l’occasion d’approfondir la part de la portée symbolique du lieu et celle de la valeur de l’autopsie dans des sources où l’expérience des voyageurs, si elle est prise en compte, est loin d’être érigée en absolu. Enfin, une dernière partie s’interroge sur les différentes perceptions dont la région du détroit a pu faire l’objet de la part des pouvoirs qui l’ont successivement contrôlé depuis les Romains jusqu’à la fin du XIVème siècle ; de César, à la fin de la République romaine, marchant sur les traces d’Hercule et d’Alexandre, aux Mérinides, au XIVe siècle, venu capter l’héritage califal des Almohades, Gibraltar fut à la fois un enjeu de compétition politique, économique et religieuse, et, bien avant les thuriféraires de l’empire de Charles Quint, un lieu privilégié d’expression des ambitions universelles.
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