« La Fleur des histoires de la terre d’Orient », itinéraire d’un livre oublié avec Thomas Tanase
Émission Le cours d’Histoire de Xavier Mauduit diffusée sur France Culture avec la participation de Thomas Tanase.
En 1307, les États latins d’Orient sont en pleine déliquescence. Le projet d’une nouvelle croisade agite les cours européennes, et un prince arménien, Héthoum, propose au pape Clément V un projet de reconquête de la Terre sainte…
Dans la littérature médiévale, qui nous conduit vers des mondes lointains, la vedette est sans nul doute Le Devisement du monde de Marco Polo. Toutefois, un ouvrage postérieur de quelques années mérite qu’on s’y attarde. Son titre est magnifique : La Fleur des histoires de la terre d’Orient. Il est présenté en 1307 à Poitiers au pape Clément V. Débute un voyage qui nous fait passer par Bordeaux, Avignon, Rome, jusqu’en Arménie et bien au-delà : la fleur peut éclore.
Le Moyen Âge, un monde connecté
Au début du XIVe siècle, le petit royaume indépendant d’Arménie-Cilicie est menacé par l’extension du sultanat Mamelouk. Ce royaume, situé au sud de l’actuelle Turquie, entretient des liens ténus avec l’Occident. La création des États latins d’Orient quelques siècles auparavant et la circulation des savoirs, des idées et des croyances le long des routes de la soie expliquent cette promiscuité. C’est ainsi qu’Héthoum, seigneur érudit d’Arménie-Cilicie, arrive à Poitiers à l’été 1307 afin de présenter au pape son ouvrage, La Fleur des histoires de la terre d’Orient. « Héthoum est un prince lettré qui vient de la famille royale arménienne. C’est un cousin du roi Léon II. On sait qu’il a fait traduire un ouvrage arménien en français. Au-delà de sa fonction de lettré, c’est un prince impliqué dans les affaires politiques de son temps », souligne Thomas Tanase.
Une description des mondes d’Asie
La Fleur des histoires de la terre d’Orient est avant tout un texte de propagande destiné à mobiliser les lecteurs au service d’un petit pays présenté comme ami de l’Occident — et menacé par l’impitoyable ennemi mamelouk. Héthoum supplie Clément V, et à travers lui le roi Philippe le Bel, de mener une nouvelle croisade en Terre sainte, notamment en s’alliant avec les armées mongoles contre les ennemis de la terre d’islam.
Le texte d’Héthoum n’est pas qu’un simple traité de croisade comme il y en a alors à profusion. Il présente également des qualités littéraires indéniables et propose une description complète des quatorze pays d’Asie, une synthèse consacrée aux dynasties arabes et turques de Mahomet au XIIe siècle, une histoire des Tartares et des Mongols en Orient et en Occident en plus de son plan de reconquête de la Terre sainte.
Le goût pour l’exotisme : l’Asie vue d’Occident
La Fleur des histoires de la terre d’Orient est plus que le témoin de la géopolitique complexe du début du XIVe siècle. L’ouvrage d’Héthoum participe à ancrer durablement en Occident un goût et une fascination pour ces royaumes du bout du monde, et à alimenter une mode de l’exotisme en Europe. « Quand on est voyageur, on n’arrive jamais en terre vierge. On a toujours des idées ou des choses que l’on a lues et qui peuvent ressortir. Il est possible qu’Héthoum ait entendu parler des textes de Marco Polo qui commençaient à circuler à cette époque-là », explique Thomas Tanase. L’ouvrage peut ainsi être considéré comme un miroir tendu au Devisement du monde de Marco Polo, et marque profondément la vie des idées européennes, jusqu’à être cité quelques siècles plus tard par Rabelais dans son Pantagruel.
Pour aller plus loin
- Thomas Tanase (trad. et éd.), La Fleur des histoires de la terre d’Orient, Anacharsis, 2023
- Thomas Tanase, Histoire de la papauté en Occident, Gallimard, 2019
- Thomas Tanase, Marco Polo, Ellipses, 2016