« Vie et mort des chirurgiens » Épisode 1/4 : Anatomie de la dissection
Dans l’émission « LSD, la série documentaire », un documentaire de Stéphane Bonnefoi, réalisé par Yvon Croizier avec la participation de Véronique Boudon-Millot
La dissection du corps humain à des fins de connaissance anatomique a été très peu pratiquée jusqu’au XIIIe siècle. Comment cette pratique a-t-elle finalement émergé pour s’imposer comme l’une des sources de la médecine et de la chirurgie occidentales ?
Pratique de la dissection et pratique de la chirurgie ne vont pas forcément de pair. Et si on dissèque à l’occasion le corps humain, ce n’est pas tant pour servir la connaissance anatomique du chirurgien que pour admirer la beauté intérieure de l’homme, créature de Dieu…
À la question ‘à quoi sert l’anatomie ?’, le médecin et historien Vincent Barras explique, en évoquant Galien, ce que le médecin grec avait théorisé : “Pour lui, c’est un motif quasiment théologique. Observer le corps de l’homme, c’est contempler la beauté ultime, celle d’une divinité. Il y a une réflexion esthético-théologique, on devient sage en regardant le parfait ordonnancement du corps, de ses rapports entre les organes, ça donne une image de la perfection divine. »
Mais, entre le IIIe siècle avant J-C à Alexandrie et jusqu’au XIIIe siècle où elle reprend dans le nord de l’Italie, la dissection des corps humains a été abandonnée. Durant ces quinze siècles, on va s’appuyer principalement sur les dissections réalisées par Galien (IIe siècle), qui n’aura jamais étudié que des animaux… La chercheuse Véronique Boudon-Millot précise tout de même : “Entre Aristote et Galien, il y a eu quand même une courte période, au IIIᵉ siècle avant notre ère, où on a pu disséquer des cadavres humains, à Alexandrie. Alexandrie qui bénéficiait d’un climat intellectuel très favorable, a permis et mis à la disposition des médecins des cadavres de condamnés à mort et des dissections humaines ont pu être pratiquées. Ces dissections à Alexandrie ont permis, d’après Galien, Hérophile et Érasistrate, de distinguer par exemple veines et artères. »
Reste que les traités de Galien vont faire référence jusqu’à la Renaissance, où la pratique de l’anatomie (synonyme de dissection) tient désormais du phénomène de mode. Vincent Barras raconte ainsi que les cours d’anatomie à cette époque sont de véritables spectacles : “Ce n’est pas forcément un public d’étudiants en médecine qui assistent à ces anatomies. On va au théâtre, on va littéralement voir un spectacle, et hommes et femmes de la bonne société italienne s’y rendent. Ça se passe souvent en hiver, parce qu’il fait froid, ainsi les cadavres servent plus longtemps et l’anatomie peut durer plusieurs jours. Il y a donc une progression dans la découverte du corps et une dramaturgie aussi, comme une pièce de théâtre. »
Finalement, l’anatomie va s’imposer comme l’une des principales sources de la chirurgie moderne occidentale…