Des mondes connectés ? Les échanges dans l’Antiquité

Samedi 27 avril 2024
Sorbonne, Amphithéâtre Guizot (Paris 5e)

Loin d’être isolés, les mondes antiques étaient parcourus par des échanges divers, compris comme des actes de réciprocité visant à donner et recevoir des biens, des denrées, des prestations, des savoirs voire des personnes, entre plusieurs parties. Cette journée d’étude a eu pour objectif de revenir sur la variété des échanges, dans leurs dimensions économique, mais aussi politique, culturelle, sociale ou même religieuse, souvent imbriquées dans les sociétés antiques. Alors que nous célébrerons bientôt les cent ans de L’Essai sur le don de Marcel Mauss, au sous-titre évocateur, Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, et que la réflexion sur ce sujet a été relancée ces dernières décennies par des études comme celle d’Irad Malkin (2018 [2011]), il paraît utile de l’approfondir encore en s’appuyant sur des dossiers variés, à l’aune de problématiques et d’approches nouvelles : cette journée d’étude cherche ainsi à comparer, sur une aire géographique étendue (non limitée à la Méditerranée) et sur le temps long (pendant toute la période antique), les cadres de l’échange (axe 1), mais également ses acteurs et ses modalités (axe 2), les conditions de la rencontre qu’il implique (axe 3) et les connexions qu’il engendre (axe 4).

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Argumentaire et contenu

1 – Les cadres de l’échange – Tous les échanges, qu’ils soient économiques, politiques, religieux ou culturels, nécessitent, pour s’épanouir, un cadre dont les types varient fortement au sein des mondes antiques. Est-il clairement énoncé dans un accord définissant ce que donne et reçoit chaque partie, à l’image du traité de paix égypto-hittite établi par Ramsès II et Ḫattusili III ? Repose-t-il plutôt sur des accords tacites, sans contrat écrit, à l’image du clientélisme romain ? Les communications pourront donc interroger les caractéristiques de ce cadre, qu’il soit public ou privé, oral ou écrit, ainsi que ce qui influence sa forme et sa matérialité (document administratif, inscription monumentale, etc.). Les rapports de force conditionnant la mise en forme de ce cadre intégreront pleinement la réflexion : l’échange est-il pensé entre deux parties égales ou au contraire, est-il influencé par des forces asymétriques, comme au sein de la ligue de Délos, dominée par Athènes ? Comment est-il amené à évoluer, être renégocié ou éventuellement transgressé et quelles en sont les conséquences ?

2 –  Réaliser l’échange : acteurs et modalités – Si les sources nous permettent a posteriori de reconstruire les cadres de l’échange, elles ont surtout fort à dire sur sa matérialité et ses acteurs. L’échange n’existe pas sans ses acteurs. Se dégage ainsi toute une galerie de portraits : le commerçant à la mauvaise réputation, parfois proche du pirate comme le Phénicien homérique ; l’ambassadeur chargé de représenter, les bras remplis de présents, les intérêts de sa cité ou de son souverain, maniant avec brio toutes les manières diplomatiques, de la courtoisie à la manipulation ; le mercenaire, parfois perçu comme un apatride avide de richesses, souvent à l’origine de l’apparition de syncrétismes ; le spécialiste, voyageant pour proposer ses services et enrichissant ses techniques au gré de ses rencontres… Les communications pourront ainsi s’attacher à réaliser une typologie générale des acteurs, ou au contraire se concentrer sur un groupe, un métier ou même une personnalité particulièrement marquante, à l’instar de la « fille d’Egtved », morte aux alentours de 1370 av. J.-C., après avoir parcouru près de 24 000 km dans le Nord de l’Europe. Les communicants pourront également analyser le lien entre différents acteurs, du point de vue géographique (cartographie des échanges) mais également technique (comment échange-t-on ? Quelles sont les voies de l’échange ? Quels sont les modes de transport de l’échange ?). À la rencontre entre ces deux approches, une étude des lieux spécifiques (marchés, caravanes marchandes…) ou propices aux échanges (temples, tavernes, cours royales…) serait particulièrement intéressante. Enfin les communications pourront s’attacher à l’étude des objets des échanges, qu’ils soient matériels (commerce de denrées, de biens, d’espèces animales ou végétales…), immatériels (services, échanges de savoir-faire, de techniques…), voulus ou non (comme par exemple certains transferts culturels ou circulation de maladies)

3 – Se rencontrer pour échanger – Le troisième axe propose de considérer les échanges comme des interactions en s’intéressant aux ressorts de la rencontre présidant à une situation d’échange. Les rencontres comportent une part de risques et de difficultés et elles peuvent susciter l’incompréhension culturelle ou linguistique, la peur ou une méfiance réciproque. Ainsi, Xénophon à la tête des Dix-Mille se trouva bien embarrassé au moment de devoir participer à une cérémonie de donations dont il ignorait l’existence. C’est grâce aux paroles du maître de cérémonie, un Thrace parlant le grec, qu’il en comprit les principes de fonctionnement. Les communications pourront donc étudier les expédients utilisés pour surmonter les difficultés rencontrées : recours à des savoirs, des gestes, des experts (interprètes, guides…). Ainsi, la connaissance de l’Autre, les moyens de l’atteindre et d’interagir avec lui, l’existence éventuelle de valeurs et de pratiques partagées, d’intérêts communs garantissant la confiance, orientent la rencontre vers un échange. Dans le Proche-Orient ancien, par exemple, l’idéal commun de « consanguinité » des rois permettant le partage des rites, favorise dès lors grandement la conclusion d’alliances. De même, l’appartenance à certains cercles peut être un facteur de mise en place de l’échange. Le riche dossier de Kültepe montre ainsi que les marchands assyriens de l’âge du bronze étaient établis de manière permanente dans la ville de Kanesh : un tel ancrage permit d’approfondir et de pérenniser les relations commerciales conclues lors des caravanes régulières qui reliaient Assur à Kanesh. Ainsi, les temporalités (durée et fréquence) et les usages de l’espace pourront être pris en compte dans les communications, que la rencontre soit un succès ou un échec.

4 – Connecter les mondes – Enfin, réfléchir aux échanges amène à questionner, à de multiples échelles, les réseaux dans lesquels ils s’inscrivent. Ces derniers se nouent et se développent à mesure que les échanges s’intensifient et que des voies dédiées sont privilégiées. Ils participent à la création de petits mondes, pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Irad Malkin (2011 [2018]). Mais ces réseaux ne sont pas fixes et évoluent en même temps que les acteurs et structures qui les portent à l’image des échanges indirects entre l’Empire romain et la Chine des Han, dépendant totalement de l’intermédiaire des Sères pour le commerce de la soie. Ainsi, le dernier axe de cette journée d’étude aura pour objectif de questionner ces connexions entre les mondes antiques, qu’elles s’opèrent à l’intérieur des réseaux habituels propres à chacun des territoires considérés ou dans le cadre de réseaux plus vastes. L’élargissement de ces réseaux et la multiplication des intermédiaires peuvent favoriser l’apparition de « systèmes-mondes » (concept initialement proposé par Immanuel Wallerstein (1974-1984) et ayant fait l’objet d’appropriations variées, notamment dans le champ des études antiques) qui transforment alors la nature des échanges. Les communications pourront donc interroger ces évolutions, en s’inspirant notamment des problématiques et des approches développées par la world history et l’histoire croisée, qui ont influencé certains travaux portant sur les mondes antiques.