Islam, réforme et colonisation
Une histoire de l'ibadisme en Algérie (1882-1962)
Comment écrire une histoire des temps coloniaux à partir de points de vue d’Algériens et comment penser le réformisme musulman, problème majeur de l’histoire contemporaine de l’islam ? C’est à ces deux questions connexes, aussi centrales qu’irrésolues, que s’attaque simultanément Augustin Jomier dans cette étude sur l’ibadisme contemporain.
Ce livre retrace la trajectoire de la minorité des musulmans berbères et ibadites du Mzab, au nord du Sahara, depuis l’occupation de cette région par la France en 1882, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, en 1962. Il montre comment, face à la domination coloniale, des savants musulmans (les oulémas) s’emparent de l’idée de réforme en islam, pour en faire une arme de conquête du leadership et de reconfiguration de la religion et de la société locales, des années 1920 aux années 1950. Par-delà le face à face entre la France et l’Algérie, circuler entre Le Caire, Tunis, Alger, et le Mzab permet à ces lettrés de trouver de nouveaux modèles et d’opérer des ruptures culturelles fortes. Trois générations successives d’oulémas repensent l’ibadisme comme foi et comme pratique, mais définissent surtout la place de leur communauté minoritaire face à l’occupation étrangère, tout en lui ménageant une place dans la nation algérienne en construction. Démographiquement très minoritaires (1 % à peine des Algériens), les ibadites se révèlent ainsi, à travers la question de la modernisation de la vie religieuse, un observatoire unique des bouleversements sociaux, culturels, politiques et économiques vécus par les Algériens à la période coloniale.
Au terme d’un patient travail de terrain et en archives (de langues arabe et française), Augustin Jomier renouvelle la question du réformisme musulman, révélant l’existence de sa variante ibadite et, plus largement, la métamorphose coloniale de l’islam. Il montre surtout qu’observer l’histoire de l’Algérie à travers l’évolution d’institutions sociales et culturelles antérieures à la colonisation permet de restituer la capacité d’action des colonisés, leurs manières de donner sens aux cadres coloniaux et de se réinventer dans ce contexte.