Ecdotique des textes médicaux grecs (Hippocrate, Galien, Oribase, Alexandre de Tralles, Aétius d’Amide)

Depuis plusieurs décennies, une grande partie de l’activité de notre laboratoire s’est consacrée au travail d’édition de textes (souvent inédits) dans la « Collection des Universités de France » dite Budé, série grecque, dont le directeur (J. Jouanna) est membre de l’équipe. La publication de textes inédits (le De indolentia, les Problèmes hippocratiques et les fragments du commentaire au Serment d’Hippocrate ) ont en particulier contribué à renforcer une forte visibilité internationale basée sur la parution régulière d’éditions de référence.

La découverte la plus marquante accomplie dans le domaine des manuscrits grecs a été celle du manuscrit Vlatadon 14 de Thessalonique, un important manuscrit de Galien du XVe siècle (re)découvert par Antoine Pietrobelli et jusque-là resté inconnu de tous les éditeurs du médecin de Pergame.
Le Vlatadon 14 nous a en particulier conservé plusieurs inédits : l’intégralité du De propriis placitis connu par une traduction arabo-latine mais qui ne nous était jusqu’à présent parvenu en grec que sous forme fragmentaire ; le texte complet du De ordine librorum suorum et du De libris propriis dont deux importants passages lacunaires en grec dans le manuscrit de Milan (considéré jusqu’alors comme témoin unique) ont récemment pu être restitués sur la foi du Vlatadon (voir l’édition de V. Boudon-Millot dans la CUF, Paris, 2007) ; et surtout le De indolentia considéré comme entièrement perdu à la fois en grec et en arabe et lui aussi miraculeusement conservé dans le Vlatadon (voir l’édition dans la Collection des Universités de France par V. Boudon-Millot et J. Jouanna, Galien, Tome IV. Ne pas se chagriner, avec la collaboration d’Antoine Pietrobelli, Paris, Les Belles Lettres, 2010).

Toujours dans le domaine du corpus galénique, mais en lien très étroit avec la tradition hippocratique, une autre découverte remarquable a été accomplie par Caroline Magdelaine et Jean-Michel Mouton pour ce qui concerne la tradition arabe des traités du médecin de Pergame (voir C. Magdelaine –J.-M. Mouton, « Le Commentaire au Serment hippocratique attribué à Galien retrouvé dans un manuscrit arabe du haut Moyen Age », CRAI 2016, I (janvier-mars) [2017], p. 217-232 ; C. Magdelaine –J.-M. Mouton, « Le Commentaire au Serment attribué à Galien : édition et traduction commentée des fragments retrouvés dans un manuscrit arabe du ixe siècle (« Papiers de Damas », liasses 12 961, 12 869 et 13 056) », Journal des Savants 2023, 1 (janvier-juin), p. 3-97).
L’incendie de la Grande mosquée de Damas, en 1893, permit de redécouvrir une salle oubliée de l’édifice qui avait servi durant des siècles de dépositoire de vieux papiers. Parmi les milliers de feuillets de manuscrits démembrés, une nouvelle découverte vient confirmer la richesse remarquable de ce fonds. Il s’agit de douze feuillets qui présentent un intérêt exceptionnel pour les historiens de la médecine, car ils conservent d’importants fragments d’un ouvrage considéré jusqu’à aujourd’hui comme perdu, à savoir le Commentaire du célèbre Serment hippocratique transmis dans le monde arabe sous le nom de Galien. Le Serment est aujourd’hui considéré comme fondateur de la déontologie médicale ; cependant Galien, pourtant grand lecteur et commentateur d’Hippocrate, ne le cite pas, même lorsqu’il traite de questions d’éthique médicale et ne signale pas non plus avoir rédigé un commentaire à cet ouvrage. Malgré ce silence, on trouve dans le monde oriental non seulement des mentions d’un commentaire de Galien au Serment, mais aussi des renseignements très précis, donnés en 855 au plus tard, par le célèbre traducteur Ḥunayn b. Isḥāq dans sa Risāla, liste de toutes les traductions syriaques et arabes de Galien qu’il a effectuées. En effet, c’est avec le Serment qu’il ouvre la section consacrée à ses traductions des commentaires hippocratiques de Galien. Le célèbre orientaliste Franz Rosenthal publie en 1956 un article majeur dans lequel il ne rejette ni ne confirme la paternité de Galien, et situe la rédaction de l’original grec entre le IIe et le VIe siècle. Depuis 1956, quelques passages supplémentaires sont venus compléter la liste des fragments repérés par F. Rosenthal, mais aucun n’apporte d’éléments décisifs sur la question de l’attribution à Galien. La découverte effectuée dans les « Papiers de Damas » permet non seulement de confirmer les passages du Commentaire qui avaient été mentionnés par les sources arabes postérieures, mais aussi de les situer à l’intérieur de l’ouvrage, en rectifiant souvent la reconstruction des philologues. Cependant l’intérêt majeur de cette découverte est situé dans les nouveaux passages qu’elle nous livre, nous permettant avant tout de connaître la fin jusque-là ignorée de ce texte, de constater que les commentaires étaient dans cette partie relativement brefs et de livrer ce qui constitue désormais la plus ancienne version connue de la fin du Serment hippocratique, antérieure même aux manuscrits grecs conservés.

Parallèlement aux découvertes de l’équipe, les éditions critiques de textes médicaux grecs dans la CUF continuent à se poursuivre à un rythme soutenu.  De fait, la liste de ces publications s’est enrichie ces dernières années de nombreux nouveaux titres, dont la parution en 2022 du traité hippocratique des Fractures, 1000ème volume de la collection.

Un nombre élevé d’éditions en préparation paraîtront au cours des prochaines années :

  • Hippocrate, Officine du médecin, par J. Jouanna, A. Ricciardetto, A. Anastassiou
  • Hippocrate, Prénotions de Cos, par E. Ferracci
  • Hippocrate, Épidémies II-IV, par R. Alessi
  • Galien, Habitudes, par V. Boudon-Millot
  • Galien, Antidotes, par V. Boudon-Millot
  • Galien, Médicaments composés selon les lieux, par A. Guardasole
  • Galien, Commentaire au Serment, par C. Magdelaine et J.-M. Mouton
  • Ps-Oribase, Eclogae, édité par S. Buzzi (avec une traduction française d’E. Ferracci).

La plupart des projets de l’équipe partent de cette approche philologique et ecdotique : voir également l’édition d’inédits de la production byzantine (Syméon Seth) et des fragments du médecin Archigène d’Apamée dans le cadre de l’étude médico-philosophique des physiologies à l’époque impériale. Et l’exceptionnelle visibilité internationale de l’équipe, grâce à son activité d’édition, s’est encore récemment accrue par divers échanges et collaborations internationaux, notamment avec l’Université Orientale di Napoli  et avec le Corpus Medicorum Graecorum à Berlin (dont V. Boudon-Millot est devenue membre du Beirat en 2021).

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